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Fantaisies

Le travail de Barbara Kairos est ponctué de faux-semblants, de pirouettes matérielles. Si chaque série de volumes apparaît selon un principe d’accumulation de formes, les déclinaisons omniprésentes ne sont jamais systématiques. Cette pluralité donne lieu à des objets-chapelets, sculptures collectives formant des petites communautés de choses qui deviennent des personnages aux caractères variés. De ces jeux absurdes faits de contradictions heureuses naissent des rébus de formes, des répertoires ou des matériauthèques.

Barbara Kairos semble manipuler les matières avec distanciation et légèreté. L’artiste se plaît à ne pas tout nous dire sur la provenance de ces constructions d’images ou leur signification. Parfois, on discerne des strates, assemblages de poussières ou de déchets plastiques condensés. Les matériaux proviennent d’un environnement quotidien : éponges, poussières et peaux de légumes narrent une époque en révélant parfois son aberration (l’artiste ré-utilise par exemple les vestiges de nos emballages alimentaires). Barbara Kairos se laisse aussi guider par ses rencontres fortuites avec la malléabilité des formes. Ses moulages de mousse expansive enfermée dans du tissu suggèrent des silhouettes incongrues, héros émoussés d’une civilisation reculée…

La tâche et le tampon forgent un protocole gestuel qui préside à de nombreux travaux. L’empreinte permet une mise à distance du réel. Par là, l’artiste tend à révéler le caractère objectif des formes dont elle s’empare et glisse peu à peu vers une posture archéologique. On l'observe grâce aux modes de présentation dont elle use, choisissant tour à tour d’inventorier les objets au mur ou de les placer sur des socles qui sont aussi leurs caisses de transport. Une autre fois, elle mélange le plâtre et la poussière pour en constituer la symbiose. Il en résulte de grands carottages, évocations malicieuses du jeu de mikados d’une autre époque, ses couleurs s’étant atténuées au fil des siècles.

Le déclin transparaît en filigrane dans la démarche de l’artiste. Elle réalise des « sculptures-tâches », structures qui s’affaissent et s’écroulent, comme ce château d’éponges, une bâtisse dérisoire vouée à s’engorger de pluie et d’humidité. À ses côtés, se dresse le « vrai » château d’Angers, lui-même menacé par les eaux. À travers de multiples dichotomies matérielles comme la lourdeur et la légèreté, la dureté ou la mollesse, la satire est omniprésente, même si la moquerie reste toujours discrète. Dans cette envie de s’autoriser à se faire surprendre elle-même par l’objet qu’elle crée, Barbara Kairos revendique un lâcher-prise. Elle navigue d’une technique à l’autre, cultive sa maladresse jusqu’à se tromper parfois. Alors, la sérendipité devient le leitmotiv de l'artiste, cette manifestation du hasard qui octroie au chercheur une découverte inédite et importante.


Élise Girardot, février 2021

Si chacun des projets prennent des aspects tantôt de jeu tantôt de sérendipité, ces deux notions illustrent surtout le processus de création. La façon de faire oscille entre la posture sérieuse du joueur et l’absurdité des situations qui peuvent être propices à la découverte.

L’incertitude face aux finalités formelles des sculptures ou installations est facilitée par l’application de protocoles sur les matériaux. De façon aléatoire je les laisse évoluer et je n’ai aucune emprise sur le projet réalisé. Pour le calendrier de « Ravioli », le phénomène est flagrant. Chacun des membres d’une boite de conserve de ravioli à la bolognaise est mis sous verre chaque jour et trouve alors une forme singulière.

L’usage d’éléments courants, en plus du simple plaisir de contourner ces objets communs, offre un champ de matériaux infini, où même les moments paraissant inopportuns ou d’ennuis deviennent propice à la trouvaille.
 
Généralement sensibles et molles, ces matières contribuent à ne pas aboutir aux projections précisent que l’on peut se faire en pensant un travail. La construction empirique du « Déclin », château en éponge présenté dans les jardins du château d’Angers et sa transformation, en sont un premier exemple. L’éponge renvoyant à l’esthétique de la pierre ne possède pas les caractéristiques techniques pour tenir les parois droites, alors l’évolution de la forme à chacune des rosées matinales et pluies estivales tend lentement et aléatoirement à une forme indéterminée. Cultivant ainsi ma propre surprise la sculpture offre des formes paréidoliques de cette ruine accélérée et donne à l’indétermination une place fascinante.

Le travail en série pourrait entravé cet incontrôle. Avec l’installation « Mascarade » on voit qu’il est inévitable de faire l’apprentissage d’un matériau dés lors qu’on lui applique toujours le même protocole ;  le geste s’affine.

Ce projet-ci prend naissance dans la captation de l’objet par son empreinte. Enduit de peinture et mis sous presse, des objets-jouets représentants la réalité (voiture, camion, vaisselle,...) donnent des images. Agrandit à échelle humaine l’empreinte est utilisée comme patron pour l’élaboration d’un moule en tissus qui sera ensuite gonflé de mousse polyuréthane. Détourné, l’objet en forme informe et légère, le spectateur peut s’en emparer et incarner avec toute l’absurdité que cela suppose une voiture ou un camion, ou croire à la forme qu’il choisit de lire. La personnification et l’incarnation de ces objets leur confère une forme mythique. Le masque permet la mise en rituel satirique de notre contexte contemporain. La mascarade ou le rituel, s’inscrit comme un jeu, selon des règles propres et définit où l’individu disparaît au service de l’interprétation.
Ce besoin précis de ne pas avoir d’emprise sur la forme et son évolution m’amène "à manipuler toutes sortes de matériaux telle une alchimiste chercherait à voir tous ce qu’ils peuvent faire".
1 Alors afin de garder en souvenir chaque matière, chaque forme, chaque technique j’ai mis en place l’installation « Rébus ». Sorte d’introduction ou de conclusion à la question des relations entre la sérendipité et le jeu, cette bibliothèque à souvenir n’est constituée que d’aléas et d’erreurs de productions accolés à des titres qui sont les éléments d’une citation de Johan Huizinga. A chaque nouvelle présentation, l’installation évolue pour donner à chaque sculpture un nouveau titre.
 

 

 

1. Tim Ingold, Faire: anthropologie, archéologie, art et architecture, Editions Dehors, 2018, p.74

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